L’odorat est un sens très personnel. Savez-vous que face aux mêmes stimuli odorants, personne ne sentira exactement la même senteur ?
Il a été cependant, pendant des siècles, totalement dénigré dans notre monde occidental. L’odorat était en effet perçu comme animal, primitif, bien moins noble que la vue ou le goût. De fait, il a fait l’objet de très peu de recherches.
La population vieillie et les maladies associées à la perte de la mémoire se multiplient : Alzheimer bien sûr, dont on estime à 1,2 million le nombre de personnes atteintes à ce jour, soit 23 % des plus de 80 ans, avec environ 225 000 nouveaux cas détectés chaque année, mais aussi d’autres maladies neurodégénératives (environ 200 000 personnes atteintes). Seulement un cas de démence sur deux serait effectivement diagnostiqué. La fondation Alzheimer Europe estime que la population française atteinte de démence atteindra 2,2 millions en 2050. L’odorat connaitra-t-il enfin son heure de gloire ?
Lorsqu’une odeur vient nous chatouiller les narines, elle est captée par la muqueuse olfactive où prennent racine pas moins de 5 millions de neurones. Ces neurones transportent l’information chimique de l’odeur et la transforment au sein du bulbe olfactif en un message nerveux compréhensible par le cerveau. Ce qui fait l’originalité et surtout la richesse de ce bulbe olfactif, c’est qu’il est situé juste à côté du système limbique et a de fait un accès direct au centre des émotions et de la mémoire.
Alors la mémoire dans tout cela ? La plume de Victor Hugo, dans les Misérables, nous l’expose en quelques mots :
« L’odorat, le mystérieux aide-mémoire, venait de faire revivre en lui tout un monde. »
La mémoire olfactive est essentiellement acquise lors de nos dix premières années. Elle se nourrit de nos expériences d’enfant au moment où les émotions et les perceptions sont hyper stimulées : le chocolat chaud préparé par votre grand-mère, le gilet de papa dans lequel on a aimé s’emmitoufler lors des soirées plus fraîches, et le jardin de grand-père, où s’épanouissaient mille senteurs : violette, romarin, basilic, etc… Je suis sûre que d’autres de ces merveilleuses odeurs vous reviennent en lisant cet article.
La mémoire olfactive s’imprègne moins de toutes ces sensations plus tard. Nos capteurs sensoriels vieillissent, quelques fois aidés par notre mode de vie, notamment la cigarette, la pollution, … Cependant, elle reste très réactive lors des évènements marquants. En effet, selon les scientifiques, un évènement fort provoque une émotion puissante qui de fait augmente notre production d’adrénaline. Cette adrénaline est projetée dans le cerveau, notamment dans le bulbe olfactif. Les professeurs Jun Chul Kim et Afif Agrabawi, de l’université de Toronto, ont mis en évidence que lorsqu’une odeur est stockée, simultanément les informations sur l’espace et le temps y sont également enregistrées. De fait, une odeur nous rappelle un lieu et ce qui s’est alors passé à ce moment-là.
Un autre neurotransmetteur entre aussi en jeu : la dopamine. La dopamine est l’acteur majeur du circuit de la récompense dont le rôle du circuit de la récompense est de renforcer les comportements qui assurent notre survie, ainsi par exemple manger. Aliment savoureux et non toxique va provoquer une cascade de dopamine, et installer en nous une pure sensation de plaisir. C’est la raison pour laquelle une odeur fera plus facilement revenir des souvenirs autobiographiques heureux.
La stimulation de l’odorat permet aussi celle du goût. En effet, on perçoit une saveur grâce à nos papilles gustatives, à la texture de l’aliment, mais aussi et surtout grâce aux substances chimiques odorantes qui, lorsque l’on respire par la bouche, envahissent notre cavité buccale pour ensuite se diriger vers la voie rétro nasale. Ce qui explique le caractère vivace du souvenir de la madeleine de Marcel Proust.
La perte de l’odorat est considérée comme un signe avant-coureur d’une maladie neurodégénérative, si le lien n’a pas encore été scientifiquement démontré, l’observation montre une forte corrélation. Elle est aussi responsable de la perte d’une grosse partie du goût, et peut entrainer une perte conséquente d’appétit et un risque de dénutrition chez la personne âgée.
Travailler avec les odeurs en milieu hospitalier ou d’EHPAD permet de réveiller un sentiment d’identité chez les patients et redonner du sens à leur mémoire. Les souvenirs liés aux odeurs sont au cours de la vie moins évoqués et de fait moins altérés. Myfood a notamment installé une serre dans l’EHPAD Missions Africaines à Saint-Pierre qui l’utilise pour faire de la thérapie physique et cognitive. Ainsi, les anciens souvenirs restent présents chez les personnes atteintes de démence. Elle pourrait par exemple leur permettre de se rappeler non seulement des souvenirs, mais aussi la présence des êtres chers, selon Stuart Firestein. Professeur de Biblineuroscience de l’université de Columbia.
Laissons le soin à Gaston Bachelard de conclure
« L’odeur, dans une enfance, dans une vie, est, si l’on ose dire, un détail immense »
Gaston Bachelard